J’aime les images et mettre les gens en images. Pourquoi ?
C’est héréditaire m’a-t-on dit. Alors je m’en vais vous raconter l’histoire des photos de la liberté. (Il y a plus de 50 ans, maintenant, je peux)
Nous sommes dans les années 40 quelque part au centre de l’Europe, c’est la guerre. Une population cosmopolite, se trouve réunie dans un camp, retenue prisonnière, peu importe les raisons, ce n’est pas le sujet ici.
Sans ces funestes évènements tous ces gens ne se seraient jamais côtoyés. Il y a là pêle-mêle, une princesse tatare qui parle 5 langues comme on demande le sel à table, un journaliste qui écrit dans nombre d’idiomes européens, un ouvrier imprimeur à l’accent titi parisien à couper au couteau, un allemand qui parle russe mieux qu’un russe (il l’a appris durant sa captivité pendant la guerre d’avant), un doué en mécanique, moitié Mac Giver, moitié ingénieux ingénieur, moitié français et moitié allemand, un ingénieur français froussard comme tout, et bien d’autres encore.
Mais comme on ne veut jamais rester là où on est, tout ce monde n’a qu’une idée en tête : s’évader, et en attendant, on fait croire que l’on vit normalement, que l’on se soumet et que l’on accepte… mais cette soumission n’est qu’apparence. Dans le secret des baraques, des ateliers forcés et même des bureaux, les cerveaux travaillent d’arrache pied, les compétences se mettent en commun. Chacun apprend le savoir de l’autre et lui transmet le sien propre. Sortir, mais avant tout, pour cette fine équipe, faire sortir les autres afin que le plus possible sorte. S’ils ne font évader qu’eux-mêmes, c’est une dizaine qui sortira, s’ils mettent leur savoir au service de tous, ce sont plusieurs dizaines qui se sauveront. On a déjà raconté cela dans un film, je crois…
Tout ce monde apprend, l’imprimeur connait très bien les procédés chimiques qui contribuent à la naissance des images argentiques, le journaliste sait faire des photos, il en faisait souvent, en reportages avant guerre, notre Mac Giver s’est juré de venir à bout de n’importe quelle mécanique, si minuscule soit-elle.
Notre tatare qui a appris la dissimulation, l’espionnage et le contre espionnage s’entend très bien à distance avec l’épouse de l’ingénieur français qu’elle n’a jamais vue. Ces charmantes dames vont employer toute leur ruse féminine pour, pièce par pièce, rouage par rouage, faire entrer la mécanique centrale d’un appareil-photo. Comment ? Selon le vieux principe du « plus c’est trivial plus ça passe »… c’est ainsi que les précieuses pièces sont entrées, dissimulées dans l’épaisseur de serviettes périodiques. Messieurs, excusez-moi de la trivialité mais l’anecdote est vraie. Les petites vis, elles, entraient par les bigoudis. Et le Mac Giver fabriquera le boitier et les pièces qui manquent.
Contre mauvaise fortune, on installe une chambre noire de fortune, on recourt tour à tour au cuisinier et aux employés de l’atelier pour se procurer diverses substances chimiques.
On fait appel à quelques ruses pour tromper la vigilance des sentinelles lors des tirages de portrait.
Ces photos ne sont pas un amusement, elles sont vitales, ce sont les portraits de la liberté, un passeport pour l’extérieur, les clichés de la vie.
C’est peut-être parce que c’est un de ces gars-là qui m’a appris, le labo d’abord, la prise de vue ensuite, que j’ai toujours la manie de tirer le portrait de tout le monde…
Merci de votre attention.
Dim 25 Jan - 13:02