le voilà , ce conte philosophique que je dédie à Bruno qui voulait le voir depuis des lustres ....
Les Petits facteurs de secrets Il courait plus vite que l’éclair le vieux chat avec un jeune sylphe désespérément agrippé à ses poils roux. Ils fendaient l’air dans leur course folle et fuyaient aussi vite qu’ils pouvaient le village du « Pays Enchanté ». Ils voulaient le laisser loin derrière eux, le plus loin possible.
Pourtant, pourtant tout allait si bien avant qu’ « elle » arrive et que le village tombe sous sa dictature. Tout allait si bien avant l’arrivée d’Abominia.
Sur la place publique, les rires joyeux des humains, des sylphes et des sylphides, rayonnaient comme mille éclats de diamants au soleil. Il faut vous dire que dans ce village, chaque humain avait un sylphe à son service, c’était son « facteur de messages secrets ». Les sylphes sont de petits êtres ailés, aériens et invisibles. Ceux du « Pays Enchanté » appartenaient à la tribu «Intimité » et leur tâche était de transporter les lettres privées et secrètes entre les hommes.
Tout allait pour le mieux : rires sur la place publique, amours et chicanes en messages secrets. Les missives comportaient bien quelques ragots mais cela n’avait aucune importance puisque les sylphes gardaient soigneusement les secrets.
Mais …..
Mais, un jour arriva une belle jeune femme, aux yeux si doux, au sourire si charmeur. Elle fut naturellement bien accueillie par tous et se mêla à la joie et aux rires de la place du village.
Mais …
Mais peu à peu, son sourire commença à se figer, ses yeux pétillants se transformèrent en un regard dur, sa bouche se tordit dans un grimace haineuse et d’horribles mots se mirent à en sortir. Abominia, tel était le nom de cette sorcière cruelle, se montra enfin sous son vrai jour.
La peur et l’effroi s’abattirent alors sur le village.
La haine d’Abominia se dirigea très vite contre les sylphes car ces petits facteurs qui lui étaient invisibles lui échappaient et elle détestait ce qu’elle ne pouvait pas contrôler. Elle les imaginait transportant dans leurs missives d’abominables complots dirigés elle.
Elle fit alors ce que font tous les dictateurs : elle recruta parmi les habitants des esclaves pour exécuter ses noires besognes. Aidée aussi par le silence, la peur, la lâcheté ou l’indifférence – l’histoire ne le dit pas – de la majorité des habitants, elle projeta de mettre à mort tous les petits êtres ailés.
Usant de ses pouvoirs de sorcière, elle proféra des paroles maléfiques contre les sylphes affaiblis surtout par la trahison de leurs amis humains et réussit à rendre visibles ceux qui ne l’étaient pas. Elle les exécutait alors cruellement, leur arrachant soigneusement les ailes et leur petit cœur de facteur.
Les sylphes et les sylphides décidèrent de quitter le village au plus vite.
Mais un jour, juste au moment où Abominia faisait exécuter le dernier facteur qui était resté au village, un vieux chat roux jaillit brusquement de la foule, bouscula tout le monde sur son passage et fonça vers le sylphe condamné qu’il enleva prestement sur son dos. Le petit être avait déjà une aile en bien triste état mais il s’accrochait sur le dos du chat qui filait comme une flèche.
Ils partirent loin, loin, très loin, vers un village où le chat savait que son protégé trouverait refuge et soins. Le clocher d’une église leur indiqua enfin ce village. Le vieux chat roux s’arrêta alors devant la maison d’un vieux sage, il déposa délicatement sur le seuil le corps exténué du petit sylphe et se mit à miauler.
Il miaula, miaula, il miaula très fort, il miaula tellement fort que le vieux sage alerté par tout ce tapage finit par arriver. Il ouvrit la porte et vit le sylphe, blessé par les mots noirs.
Il le prit doucement, le porta à l’ombre de la pièce et, pendant des jours et des jours, il soigna le corps et l’âme du petit être meurtri.
Pendant ce temps, le chat roux ronronnait sur le seuil de la maison.
Le moment du départ arriva enfin. Le petit être aérien était guéri, il était redevenu invisible.
Le vieux sage lui donna alors un crayon, le crayon magique grâce auquel seuls les mots seront visibles. Un crayon si long que jamais plus la sorcière ne pourra atteindre le sylphe et le blesser par ses mots noirs, jamais plus elle n’arrivera à trouver la main à l’autre bout du crayon.
Le chat roux ramena alors le petit facteur à son village .
Ah ! Pauvre village ! Qu’il était devenu morne et triste. Les soupçons et les calomnies y avaient remplacé les rires et la bonne humeur. Il n’y avait plus de secret, tout devait être étalé sur la place publique. Il n’y avait plus d’intimité. Il n’y avait plus aucune pensée personnelle. Les joyeux habitants du village s’étaient transformés en un troupeau docile et soumis à Abominia et Dames Peur, et Lâcheté y étaient devenues les véritables maîtresses des lieux.
Mais…
JE DENONCE !
Le mot surgit, menaçant, devant les yeux d’Abominia qui commença à trembler car pour régner sur ce village, elle avait mis Mensonges et Méchancetés à son service.
LIBERTE !
Le sylphe venait d’écrire un deuxième mot. Et Abominia tremblait de plus belle. C’était le mot qu’elle détestait le plus, pour les autres bien sûr. Elle commença à avoir peur car là où règne la liberté de penser c’est là où règne l’invisible et donc l’imprévisible. Et ça, non, elle ne pouvait le supporter.
Mais les MOTS avaient réveillé les habitants de leur torpeur et ils découvrirent à leur côté les petits sylphes et sylphides qui étaient revenus au village, alertés par le chat roux. Le crayon magique et ses mots leur avaient ramené la hardiesse de vivre librement leur vie publique et leur vie privée. Abominia fut chassée
On voyait disparaître vers l’horizon sa silhouette de belle femme aux yeux et au sourire d’une douceur incomparable. Abominia souriait car d’autres villages l’attendaient...
Gardiens de la liberté et de la paix, les petits facteurs invisibles des pensées intimes des hommes reprirent leur travail dans la joie et le rire.
Mars 2007
fan